Couleurs d'Ailleurs

En Asie du Sud-Est pour une année, je tiens par ces quelques écrits à vous faire partager des points de vue et des sentiments cueillis au gré des humeurs sur mon chemin. Comme un carnet de route en quelque sorte... Aucun objectif réel à ces chroniques, si ce n'est d'essayer parfois de raconter par des tableaux ce que je vis et comprends (ou crois comprendre)... J'espère souvent réussir à vous entraîner avec moi et à vous donner des envies sincères d'aller chercher autrement...

Nicolas Forzinetti

Photos d'Alix Trauffler

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Magie flottante et bouleversante d'Angkor Wat.
Photo d'Alix Trauffler

Mon Cambodge

Nous sommes restés trois mois dans la capitale khmère et l'avons quittée avec quelques regrets, vu que l'ONG pour laquelle nous travaillions bénévolement n'a malheureusement pu nous garantir un salaire digne de ce nom. Avons donc, à certains égards égoïstement décidé de reprendre la Route... Sommes en réflexion et repos sur une plage thaïlandaise en direction du sud du pays. Endroit qui n'a d'ailleurs de Thaïlande que la terre, car "germanisé" et "scandinavisé" à l'extrême! Vous en écris des pensées bientôt...

Kampuchéa donc... J'ai aujourd'hui un relatif recul sur notre vécu et vous invite à entrer avec moi dans ce pays blessé, mais qui tente de sourire férocement à l'avenir... Même si...

Coup monté ou bêtise

Quelques jours avant notre départ du pays, de violents incidents ont éclaté à Phnom Penh et nous avons eu l'occasion d'y assister "en direct", entre effroi et incompréhension.

Une célèbre actrice thaïlandaise a prétendument déclaré qu'elle refuserait de venir au Cambodge, tant que les fameux temples d'Angkor (vitrine touristique du pays) n'étaient pas restitués au Royaume du Siam, la Thaïlande actuelle. Propos que l'actrice a par la suite formellement démentis -plongez-vous dans tous les récits d'Angkor et vous comprendrez dès lors aisément les tensions et conflits qui ont traversé l'histoire de ces deux pays...- Il était trop tard; le mal était fait!

Dès que ces déclarations furent découvertes dans la presse cambodgienne, la colère s'est déclenchée! Mise à sac de l'ambassade de Thaïlande (avec une violence inouïe) et pillage de tout ce que Phnom Penh comptait de thaï (agence de voyages, hôtels, et j'en passe...)

Ce déchaînement furieux a entraîné l'évacuation immédiate de tous les ressortissants thaïs du Cambodge et une importante crise diplomatique entre les deux pays, très mal venue cela dit pour les Khmers. Effectivement, se priver de l'appui thaïlandais apparaît comme une hérésie de la part des Cambodgiens, surtout dans le contexte de reconstruction économique toujours très difficile dans lequel semble s'être engagé le pays.

Notez encore, pour mieux comprendre, qu'une photo du roi thaïlandais a été brûlée devant les caméras de télévision, ce qui a provoqué une réaction plus qu'abrupte et sèche de la part des autorités thaïes qui ont aussitôt décidé d'expulser tout ce qui est cambodgien de leur territoire!

Au moment de passer la frontière en quittant ce si beau pays, j'ai d'ailleurs assisté à une de ces expulsions. A quelques mètres de moi, sous mes yeux... Frissons, tristesse, car nulle complaisance ne transparaissait dans la manière employée.

Pour revenir à cette révolte, tout paraissait étrangement organisé dans le démantèlement des lieux thaïs. En évoquant ces pillages avec des connaissances quelques jours après les événements, beaucoup d'entre elles prétendaient qu'il s'agissait en vérité d'un coup monte par le premier ministre Hun Sen... Peut-être pour démontrer son autorité à quelques mois des élections législatives suscitant toutes sortes de contradictions dans ce pays. Comment est-il possible qu'en une heure seulement ces jeunes étudiants aient pu ravager tant de lieux thaïs si distinctement?

La rumeur gonflait et très vite, tout le monde a parlé d'un plan de route précis distribué aux étudiants par des gens du pouvoir. Mais tout est si flou et complexe dans le système politique cambodgien qu'il est pratiquement impossible de tirer quelque conclusion définitive que ce soit. Hun Sen est considéré, car il a ramené la paix, mais honni souvent des Cambodgiens pour l'usage peu démocratique qu'il fait du pouvoir. C'est un stratège politique rusé qui est parvenu avec le temps à éliminer toute opposition réelle. La seule voix influente qui semble demeurer encore est celle de Sihanouk, toujours roi et rescapé miraculeux du régime khmer rouge, même si elle apparaît très souvent plus que timidement pour se distinguer de Hun Sen et des siens.

Beaucoup d'expatriés craignent les élections de juillet, car le pays est instable et d'après certains: "On ne voit pas pourquoi ils ne s'en prendraient pas un jour ou l'autre aux Occidentaux ou encore aux Vietnamiens..." Loin de moi le souhait de diaboliser ce pays que j'aime et ai aimé, mais plutôt de témoigner sincèrement de ce que j'ai vu et entendu.

Le gouvernement cambodgien s'est depuis lors engagé à rembourser tous les frais engendrés par les tristes événements du 29 janvier 2003. La somme représenterait, d'après le quotidien national thaïlandais "Bangkok Post" qui n'a cessé de faire ses choux gras des événements, 8% du budget actuel du Cambodge, et ce dans un des pays les plus pauvres du monde... Cela fait très, que dis-je, trop mal...

"Cambodge Soir", seul quotidien français du pays, n'a pas pu couvrir librement ces agissements. La présentation des faits a été dictée par le pouvoir; et cela se sentait à plein nez à la lecture de textes abjects qui étaient de véritables plaidoyers en faveur de Hun Sen. La liberté de la presse semble souffrante au Cambodge... Wolinski, que je ne vous présente pas et que nous avons rencontré a travers une conférence au centre culturel français de Phnom Penh, en a d'ailleurs témoigné dans de récents numéros de "Charlie Hebdo". Il y relate notamment une rencontre poignante avec l'unique dessinateur de presse du pays, censuré quasiment une fois sur deux.

 
Une Apsara... Un des symboles de la culture khmère; ces danseuses célestes
permettaient aux rois de communiquer avec les forces divines.
Photo d'Alix Trauffler

Sachez encore que ces jours-ci, Sihanouk, qui évoque de plus en plus son retrait, a décidé de gracier les 60 étudiants toujours emprisonnés à Phnom Penh et de les faire libérer. "Ces jeunes ne sont pas responsables de ce qu'ils ont commis", a-t-il déclaré à la presse.

Cette Française

Je souhaite encore vous faire part d'une rencontre liée à ces événements. A la suite de cette nuit de heurts, j'ai essayé de l'apaiser en parlant longuement avec elle. Son ami thaïlandais a dû quitter le Cambodge précipitamment. Elle "a la haine..." Le dégoût et la colère rythment ses intonations lorsqu'elle m'explique qu'elle sentait le coup venir depuis quelque temps déjà. Elle est arrivée ici il y a quatre mois pour enseigner le français à l'université de Phnom Penh. Elle m'évoque longuement, des tremblements dans la voix, son ami, peintre des rues, qui avait une semaine auparavant déjà été pris à partie par des Khmers, essuyant insultes et quolibets, desquels il s'était tiré sans mal; de ses étudiants aussi qui ne parlent depuis peu que de casser du Thaïlandais dans leurs écrits... Que va-t-elle faire? Rentrer en France? Essayer de retrouver son ami avec lequel elle ne sait comment renouer le contact? Eh oui, lui n'a pas d'e-mail et ne parle que très peu l'anglais... Son coeur semble aux abois. Elle est complètement "sonnée"... Qui ne le serait pas?

En la quittant, je lui glisse encore un "bon courage" qui me paraît bien dérisoire.

Tout cela semble bien noir, devez-vous penser. Non, le Cambodge est un pays merveilleux qui s'ouvre de plus en plus au monde extérieur et je vous encourage à vous y rendre au plus vite! Bientôt, vous saurez...

Je n'ai pas encore l'impression d'avoir commencé mon récit, mais sachez avant toute chose que nous avons abordé et vécu ce pays sous un angle difficilement heureux, au vu du contexte dans lequel nous avons été plongés dès notre arrivée le 13 novembre 2002.

Précision

Joies, tristesses, interrogations, espoirs et sincères envies ont peuplé notre quotidien rempli de couleurs et saveurs auxquelles nos esprits se sont accrochés. Quant à nos coeurs, ils ont continué tout au long de notre séjour à se laisser séduire et ont su, malgré beaucoup, s'émerveiller au plus fort. Malgré, ai-je écrit, car le tableau de l'horreur nous est souvent apparu à travers la raison pour laquelle nous sommes demeurés ici.

Je souhaite vous témoigner d'une pensée. Le récit de voyage se veut parfois idéaliste ou plutôt embelli pas les beautés croisées, ceci si l'on souhaite conserver uniquement les aspects merveilleux absorbés, sans nos sentiments et notre réflexion épurée de tout malaise, mélancolie et critique. Je ne souhaite jamais dans mes textes être définitif, car cela me semble constituer en voyage l'élément le plus arrogant, donc le plus dangereux. Passée cette précision, spécifiquement personnelle, je poursuis de suite l'évocation de la patrie khmère en plusieurs touches et vous propose des chapitres entre lesquels vous pourrez, si vous le souhaitez, faire des liens de cohérence sans trop de problèmes. Comme entre une homogénéité d'un vécu et ses différences qui virevoltent.

Ce pays

On le nomme le "Pays du sourire", et cela nous a paru très vite entièrement justifié. Sans aucun stéréotype (quoique parfois j'aime le cliché, entre une volonté naïve et une humilité à conserver toujours), la gentillesse et la bienveillance des gens se démontrent sans cesse et le quotidien s'en trouve ainsi porteur de vrais soleils. Les visages d'ici permettent de croire, dans un élan de candeur, ont une espèce de sincère bonté. C'est bien plus qu'agréable et le fait de nous être installés à Phnom Penh a répondu pleinement à nos attentes d'approfondissement à tous les niveaux.


Regard inquiet d'une très belle enfant cambodgienne.
Victime sous peu d'un chasseur de chair fraîche?
Photo d'Alix Trauffler

Ces sourires qui semblent donc vrais, chaleureux, puissants et ce malgré une histoire proche qui n'en finit pas de véhiculer son cortège de fantômes génocidaires. La clique de Pol Pot a marqué a l'encre rouge la vie des gens. Et quoiqu'en disent certains, qui pensent que tout cela appartient au passé et qu'il faut vivre au présent (je n'ai jamais cru au présent sans mémoire), cela se ressent encore parfois violemment dans de nombreuses approches du pays.

Une vision d'horreur

Je vous emmène à Tuol Sleng; la prison S21, installée à l'époque dans une école par les Khmers rouges, retentit encore des cris des innocents massacrés entre 1975 (décrétée année zéro par Pol Pot et les siens) et 1979. Aujourd'hui, c'est un musée et on se promène en ce lieu hagard, sans comprendre. Et l'effroi vous saisit tout entier très rapidement... Sans que cela ne soit notre histoire (même si les camps de concentration ne sont pas loin), on s'écrase une fois de plus contre cette espèce de délire schizophrénique et insensé qui nous laisse de glace. Après des chambres vides nous signifiant qu'ici le pire a été commis, s'alignent ensuite devant nous des photos de visages à l'infini, comme pour nous répéter encore et encore que près de 2 millions de Cambodgiens ont été éliminés durant ces années de terreur. Les champs de bataille et de massacres ne sont d'ailleurs pas très éloignés de cette école. Ce sont les très fréquentés "Killing Fields".

Toujours en ce lieu glaçant et après ces visages en appelant à la vigilance de notre mémoire, ce sont des peintures réalisées par un Khmer rouge qui nous témoignent de l'indescriptible violence des supplices infligés. La "visite" se termine souvent dans une salle obscure où une vidéo est passée en boucle. Un ancien Khmer rouge nous décrit entre peur et rejet les exactions commises et les tortures auxquelles il a assisté. Affolant...

Sous ce régime de terreur, il est important de rappeler que ce sont les intellectuels (chercheurs, écrivains,"profs", etc.) qui ont été exterminés prioritairement par Pol Pot et ses alliés, car ennemis jurés du renouveau imaginé. Pour la petite histoire, Pol Pot avait quelques années auparavant échoué au bac en France.

Peu après notre arrivée à Phnom Penh, nous avons eu la chance de rencontrer une femme, Ly, professeur à l'époque des Khmers rouges et rescapée.

Ly

Elle est aujourd'hui âgée d'une cinquantaine d'années et a quitté (fui) le Cambodge il y a 22 ans. C'est la première fois qu'elle refoule la terre de son pays depuis son départ forcé... "Je n'étais pas prête et ne le suis d'ailleurs toujours pas...", nous dit-elle.

Mais sur l'invitation d'un journaliste de TV5, elle a accepté d'aller à la recherche des gens qui avaient compté pour elle, la plupart évidemment disparus, et de témoigner en retournant aux endroits qui l'ont vue humiliée, purement et simplement, car étant professeur, elle signifiait danger. Elle raconte: "En 1975,la ville de Phnom Penh a été complètement vidée de sa population. Tous les hommes et femmes (les enfants étaient épargnés) ont été envoyés travailler dans les rizières. Il fallait pour les Khmers rouges faire table rase du passe et recommencer. Donc d'abord se rééduquer...
Pendant 4 ans, dans des conditions inhumaines, -plus de 10 heures par jour-, j'ai travaillé dans les champs sous les regards complètement fous de mes bourreaux (il a été prouvé aujourd'hui qu'un bon nombre des Khmers rouges usaient et abusaient de drogues diverses avant d'exécuter froidement leurs victimes). Pour ne pas mourir, j'ai joué à l'idiote constamment. Lorsqu'on me posait des questions, j'ai encore aujourd'hui cette impression étrange qu'il fallait répondre le plus bêtement possible et surtout cacher toujours au mieux ma profession. C'est certainement ce qui m'a sauvée..."

Après ses trois semaines de retrouvailles avec le Cambodge, elle poursuit: "J'ai tout retrouvé; ce que j'avais construit de mes mains près de Mondolkiri (à l'est du pays), et même certains membres de ma famille et des amis. Malheureusement, beaucoup ont été tués. Cela est toujours si précisément inscrit en moi; c'est tellement là et je n'oublie rien..."

Elle nous raconte ensuite comment elle est passée durant ses quatre années de captivité du bouddhisme au christianisme; un long chemin spirituel qui l'a profondément aidée au cours de ces temps d'horreur. Ly est actuellement professeur de bouddhisme dans une université marseillaise.

Elle nous commente encore brièvement le pays aujourd'hui: "Je suis pessimiste. Les Cambodgiens sont paresseux et ne pensent qu'à l'argent qu'ils peuvent soutirer du tourisme grandissant... Mais eux... Bon, je sais, la corruption, l'argent détourné, le pouvoir, Hun Sen... C'est vrai, peu d'éléments jouent en faveur de ce peuple qui est encore le mien. Mais ce pays est instable et je crains fort les élections législatives de juillet..."

Avec le recul, je trouve ce point de vue bien noir. Phnom Penh où nous venions de nous installer a encore trouvé de la place dans ses propos. "La ville était belle; aujourd'hui il ne reste rien, à part certains bâtiments coloniaux délabrés. C'est bien triste..."

Nous la quittons; elle nous souhaite bonne chance dans nos volontés humanitaires. Nous sommes sous le choc... Cependant, cela apprivoise nos visions et découvertes et nos yeux se posent partout...

Une lecture passionnante que je conseille:

"Le portail -Ancien prisonnier des Khmers rouges-" de François Bizot, un Français qui vit encore aujourd'hui à Phnom Penh. Cela se trouve dans la collection Folio.

Phnom Penh

Nous y avons vécu pendant près de 90 jours.

Ce dont Ly nous a témoigné à propos de la ville est sûrement vrai, mais notre découverte n'avait pas de mémoire et s'est faite sans référence aucune. Donc... Vous parler de cette capitale est aussi pour nous comme un reflet de la fluctuation de nos pensées...

C'est une ville assurément passionnante qui "grouille" de gens, motos (ah, les chutes, nous en avons fait quatre, heureusement sans conséquences...), voitures absolument partout et ce dans un chaos inépuisable. C'est vivifiant, mais souvent fatigant dans la vie de tous les jours. Heureusement, il y a le Tonle Sap, rivière traversant la ville en son centre et apportant son lot de fraîcheurs bienvenues... Le Tonle Sap (qui est aussi le nom du plus grand lac cambodgien) est le théâtre chaque année de la fête des eaux (peut-être l'événement festif le plus populaire au Cambodge;c'est effectivement en novembre de chaque année que le cours des eaux de la rivière, un confluent du Mékong, s'inverse). Tout cela donne lieu à des célébrations magnifiques.

A cette époque les rues sont envahies et surpeuplées de gens accourant de toutes les campagnes alentour pour célébrer l'événement. C'est magique et terriblement vivant... Du monde partout, des courses de bateaux sur la rivière, des gens chantant et cette sensation bienfaisante d'assister à quelque chose de bien plus que particulier.

Phnom Penh, c'est aussi son Palais Royal, majestueux et tant révélateur du génie de la culture khmère, des splendides temples, témoins de ce bouddhisme qui nous éloigne et nous rapproche à la fois de la culture asiatique. Quelques échanges avec des moines nous ont à nouveau amené leur part de bonheur, entre questions et vérités... Et ces extraordinaires marchés, central et russe, aux couleurs invraisemblables.

Et la vie nocturne... Les expatriés, en majorité français (encore), qui expriment folies, désespoirs, perditions, mais parfois aussi conquêtes...

Phnom Penh et ses touristes, comme nous à la base, mais avec moins de temps... Le Cambodge frôle le million de visiteurs cette année et espère grandement à l'avenir faire décoller son économie encore plus par ce biais, ce qui donne déjà lieu à la concurrence la plus acharnée (hôtels, guides, Internet, Angkor par-ci, Angkor par-là, etc.) C'est une ville où nous nous sommes plu; nous avons appris à l'écouter dans ses détails, même si le temps fut de toute façon trop court. Si elle nous a parfois donné des claques, nous lui avons néanmoins reconnu la vertu d'une jolie douceur.

Hommage aux Moto-Dops

Ils sont partout dans la capitale... J'en ai connu certains par les gestes et les regards, nous avons sympathisé et une amitié simple et chaleureuse s'est installée entre nous. Nos échanges sur le Cambodge, même si la conversation a souvent été limitée, ont toujours été teintés de soleils. Leur vraie gentillesse et leur bonhomie ont souvent mis du baume à mon coeur meurtri par ce que j'ai vécu au Cambodge et les horreurs qu'il m'y a été donné de constater... Mais qui sont-ils?

Les Moto Dops sont des hommes, chapeau bas vissé sur la tête, qui vous transportent sur leur moto où vous le souhaitez dans la ville pour une poignée de riels (monnaie cambodgienne) et gagnent ainsi leur dérisoire revenu -le salaire moyen d'un Cambodgien est de 30 dollars par mois-. Il faut avoir conscience que pour échapper à la misère des campagnes, beaucoup d'hommes viennent à Phnom Penh. La première étape est toujours pour eux de se livrer à ce métier en espérant passer plus tard à mieux et, à certains égards, à quelque chose de plus valorisant.

L'absence de mots entre nous a rendu mon contact avec eux dénué de tout artifice et la plupart du temps très doux.

Les expatries

Encore! Et quel titre bien général. Cependant, cette fois, c'est comme grave et triste en majorité et j'ai encore l'impression, aujourd'hui comme rarement, heureux.

Bien évidemment, j'imagine qu'il y a pour vous un goût certain pour l'anecdote et je pourrais vous faire part en détail de certaines rencontres, mais à quoi bon. Très franchement ce n'est pas toujours forcément digne d'intérêt.

Beaucoup d'expatriés occidentaux, c'est avec eux que le contact s'est le plus souvent établi, sont ici pour échapper au fisc, et il y en a aussi qui ont transporté leurs malaises existentiels écumés en Europe dans ce pays qui n'en a absolument pas besoin. Je vais néanmoins tenter de résumer; il y a beaucoup d'expatriés qui sont au Cambodge depuis tant d'années et n'ont d'autre discours que celui d'exprimer que les Cambodgiens s'avèrent avec le temps des gens inintéressants, incultes et qui ne comprennent jamais rien. Il s'agit là, je pense, d'une forme d'aigreur qui s'est forgée sans qu'elle puisse être maîtrisée. Il faut cependant dire, à ce propos, que le Cambodgien se sent souvent inférieur, et ce sans raison, face à l'étranger, particulièrement face au Français qui l'a colonisé et au Vietnamien qui l'a libéré. Des Vietnamiens qui sont très présents au Cambodge, et les relations entre les deux peuples ne sont pas particulièrement au beau fixe;c'est souvent lié à des antagonismes appartenant pourtant à l'histoire. Mais celle-ci est encore très proche.

Il nous est arrivé de fréquenter avec intérêt la vie nocturne de Phnom Penh et nous avons eu l'occasion de nous frotter à bon nombre de personnages; souvent désabusés, fatigués, alcooliques, las et j'en passe. Loin de moi pourtant d'opiner sur leur coeur et leur intelligence, car de belles soirées arrosées ont amené leur lot de rires, mais de manière générale et compte tenu de ces rencontres, c'est plus de la peur que de l'envie qui s'est dégagée de moi. Je ne souhaite cependant toujours pas jouer ce rôle détestable de moralisateur. Il est vrai que nous avons peut-être eu trop tendance à ne remarquer que ce mal-être, car il nous blessait. Un regret surtout; celui de n'avoir pu communiquer dignement avec les Khmers. Durant ce voyage en Asie, c'est sûrement ce qui nous manque le plus sincèrement, parler plus avec les gens de l'endroit. Ce manque n'existait par exemple pratiquement pas lors d'un long séjour en Amérique latine il y a bientôt deux ans; l'espagnol demeurant toujours plus accessible que le thaï, le vietnamien, le lao ou encore le khmer (langues qui ne sont, soit dit en passant, pas forcément bien maîtrisées par les expatriés longtemps présents sur ces terres). Nous avons d'ailleurs, malgré certains efforts minimes durant notre séjour cambodgien, décidé de ne nous mettre à une de ces langues que le jour où nous nous installerons longtemps dans un pays.

Pour revenir aux camarades croisés sur notre chemin, il y a, je vous rassure, des personnes admirables et déterminées. Celles-ci parlent généralement très bien le khmer. Ce sont les hommes et femmes, hélas plus rares que les autres, qui mènent des combats passionnants depuis longtemps, en particulier dans les ONG.

Deux portraits immédiats pour illustrer le jour et la nuit.

Richard

Un homme agressif, méchant, rencontré un soir dans un "bistrot"... Accompagné d'une charmante demoiselle, incontestablement mineure, il se lance dans des diatribes qui s'apparentent à l'éloge de l'esclavage des filles et femmes au Cambodge. Je réagis... Une violente confrontation s'ensuit... Je "calme" vite le jeu, car l'homme me semble dangereux et particulièrement peu habile et nuancé. Je décide alors de le "caresser dans le sens du poil" et l'écoute longuement m'évoquer la liberté sexuelle dans ce pays, les passes à dix dollars avec des enfants... "Ceux qui ont de l'argent possèdent et font ce qu'ils veulent de ceux qui n'en ont pas!", me soutient-il, convaincu. Cette conviction, il me la défend de façon apeurante. Pendant ce temps, la fille ne "pipe" (...) mot et je parviens à lire quelque chose de terrifiant dans ses yeux. Cet homme a une carrure qui impose le retrait, moi qui n'ai jamais été un fervent adepte des confrontations physiques et les évite, il est vrai peut-être lâchement, mais essentiellement par gain de paix. Mes sentiments tourbillonnent; dégoût, révolte et cette peur qui ne me lâche pas. Je finis par m'en aller avec en prime pour la nuit une grosse déprime comme somnifère.

C'est l'exemple extrême; mais nous avons hélas fait trop de rencontres de cet acabit. Des trentenaires aussi, dont un m'a prétendu être satisfait de sa vie sexuelle permanente ainsi, une fille par jour, car l'Amour finit toujours par se lasser et se casser. La paresse d'aimer à trente ans...?!

Beaucoup d'hommes sont donc au Cambodge, et vous l'aurez aisément compris, pour user et abuser de ce ressort de la prostitution qui "arrange" et permet définitivement d'éviter la séduction et quelque préliminaire que ce soit; mais surtout d'humilier moralement et physiquement tout ce qui leur passe entre les bras. Et ils osent encore se défendre en parlant d'aspects culturels et d'argent que ces "pauvres" filles peuvent gagner grâce a eux.

L'homme, qui ressemble à de la gangrène, avec comme seul élément de réflexion le sexe et ses saveurs jouissives rarement amoureuses. Et ces femmes, d'une rare beauté et à la grâce troublante... Tristesse quand tu nous tiens...

Sylvain

C'est en quelque sorte l'autre côté de l'échiquier humain pour moi. C'est le fondateur, avec sa femme khmère (représentante pour le Cambodge des Droits de la femme lors des sommets de l'ASEAN, réunion annuelle des pays d'Asie du Sud-Est), de l'ONG pour laquelle nous avons travaillé à Phnom Penh. Homme acharné, travailleur, et qui démontre souvent une volonté sans faille...

En 1996, il a créé AFESIP (Agir pour les Femmes En Situation Précaire: pour les intéressés, http://www.afesip.org).

Il se bat pour ce Cambodge qu'il aime tant (depuis 15 années dans le pays), mais désespère souvent des autorités publiques, des lenteurs et contradictions administratives; de la corruption également, véritable institution sur cette terre, certainement une des plus meurtries au monde.

Cet homme tient énormément sur ses épaules et vous allez vite l'entendre. De 7 heures du matin jusque tard le soir, il "rame" comme un fou pour rendre son ONG plus professionnelle. Il cherche des moyens et les donateurs ne se trouvent pas toujours si facilement. En effet, des centaines d'ONG cohabitent entre elles à Phnom Penh et la concurrence est parfois vive et sans merci.

Sylvain a aussi ouvert AFESIP au Vietnam, au Laos et en Thaïlande, pays dans lesquels la prostitution, et plus particulièrement le trafic des femmes demeurent intolérables! C'est le cheval de bataille d'AFESIP, combattre ce commerce de femmes destinées ensuite fatalement a se prostituer.

Il lui arrive néanmoins, malgré cette énergie qui l'anime en permanence, de confier: "J'en ai assez! A quoi bon... Les succès sont si rares... Il faut toucher le politique et cela s'avère presque impossible pour un Français comme moi dans ce pays..."

Bactériologiste de formation, il constate aujourd'hui qu'il serait trop difficile pour lui de reprendre son métier en évolution et mutation constantes. Il se pose très souvent la question de l'opportunité de ses choix et de sa capacité à continuer le combat. Et il se plaint, aussi, des incompréhensions et malentendus entre Khmers et Occidentaux dans les rapports de travail. Car la méthode et le rythme divergent trop selon lui.


Fillette, privée d'école, et qui aide au quotidien sa mère à vendre toutes sortes de marchandises.
Photo d'Alix Trauffler

Mais la foi est toujours là et le train bien en marche. Sachez encore qu'avant AFESIP, il a passé 10 années de sa vie à agir pour le développement de ce pays. Et a longtemps travaillé au Vietnam aussi.

Son travail déplaît et il s'est senti à maintes reprises, lui et sa famille, en danger... Car se battre pour que cessent ces trafics d'êtres humains ne rencontre que très peu de faveurs dans un lieu où l'appât du plus grand gain possible est intimement lié à ce sombre "business"! Les proxénètes et les hommes politiques de ce pays nous sont souvent apparus main dans la main lorsque nous travaillions à la fondation. Alors, lorsque les menaces de mort planent, il emmène les siens se réfugier dans le sud du Laos. Puis il revient à Phnom Penh, encore plus "remonté" et continue à tisser son destin de "juste"... Beat Richtner (médecin suisse allemand qui a créé des hôpitaux pour enfants des rues au Cambodge, faut-il le rappeler...) n'est pas loin, mais peut-être a-t-il eu un peu plus de chance ou une meilleure stratégie et ne lisez aucun jugement péremptoire derrière mes propos.

Sachez encore que plusieurs ONG de Phnom Penh critiquent AFESIP en reprochant à Sylvain son goût immodéré pour les médias (beaucoup de télévisions du monde entier ont défilé sous nos yeux lors de notre passage à AFESIP), mais il s'agit souvent là que de jalousie! Alerter les médias et les utiliser intelligemment est hélas la plupart du temps l'unique moyen pour parvenir à l'arrestation de pitoyables individus.

Sylvain, un homme juste donc, et quelque part pris dans les rouages d'un combat paraissant souvent sans issue...

Note: Richard et Sylvain sont des prénoms d'emprunt.

Et il y eut l'ONU

Avant d'aborder notre travail à proprement parler ici, je souhaite encore férocement vous faire part de notre stupéfaction le jour où nous avons eu "la chance" de rencontrer le délégué officiel du secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan. Venu faire sa tournée des ONG de Phnom Penh en vue de l'attribution de fonds aux plus sérieuses d'entre elles, ce monsieur s'est entretenu un peu plus d'une heure avec Sylvain. Ont fusé alors des questions à désespérer, que je ne détaillerai pas ici et maintenant, et apparaissant d'une candeur et d'une ignorance complètes des problèmes du pays et surtout des vraies préoccupations et exigences de la part de ceux venus ici pour aider et créer des conditions favorables à l'évolution et au changement, même si le travail est sans conteste de longue haleine.

Est alors apparue sous nos yeux une opposition violente et sans détour entre le terrain et les bureaux...

Au moment où nous avons vu la voiture joliment immatriculée UN, et je le précise aux vitres blindées, s'éloigner, nous nous sommes questionnés: sous quel angle sera conduit ce fameux procès des Khmers rouges en préparation et dans lequel l'ONU souhaite à nouveau s'impliquer? Faut-il préciser que certains de ces criminels vivent encore en résidence surveillée à Phnom Penh?

De quelle nature sera ce procès et comment sera-t-il mené par cette ONU qui nous est apparue comme bien peu au fait des "choses" cet après-midi-là?

Deux exemples de questions tout de même: Etes-vous sûr qu'il y a autant de pédophiles que vous le prétendez au Cambodge? Ah, ah...

Y a-t-il beaucoup de SIDA? Sûrement pas.

AFESIP et notre travail

L'ONG pour laquelle nous avons été ici oeuvre donc, et vous l'aurez amplement saisi, contre le trafic des femmes et filles et en accueille quelques-unes en son sein. Une quarantaine de filles (avec lesquelles, moi homme, je n'avais, vu leur vécu, jamais le droit d'être en contact) sont recueillies à AFESIP Cambodge (dans le centre de Phnom Penh, le plus grand du pays) et suivent dès lors un cursus de réintégration s'étalant sur deux ans. Quatre activités leur sont proposées, pour que celles qui pourront le mieux échapper à leurs traumatismes puissent se réintégrer dans la vie civile. Dans les "bordels", et ce dès le plus jeune âge, elles n'apprennent en fait qu'à se servir de leur corps, et celui-ci ne constitue qu'un sinistre objet de marchandise. A leur arrivée au centre d'AFESIP, c'est ce qui choque le plus, comme s'il y avait face à nous que des corps meurtris et des esprits par la force inexistants.

Les filles recueillies ont donc le droit de suivre un atelier de couture, des travaux d'usine, un atelier d'alphabétisation (mathématiques basiques et khmer), un de coiffure mis sur pied par une Suissesse ayant travaillé à AFESIP, et un autre de cuisine où nous avons mangé quelques midis. Les filles sont bien actives et elles apprennent aussi des notions de dignité et d'hygiène jusqu'alors inconnues pour elles...

Alix, mon amie, a travaillé dans le secteur de psychologie et a aidé la psychologue de la fondation à étoffer et à améliorer ses diagnostics souvent établis à l'emporte-pièce. Elle a donc créé des fiches techniques permettant de faire un bilan relativement sérieux lors de l'arrivée de la fille à AFESIP. En assistant aux entretiens entre la psychologue et certaines demoiselles, elle a pu mesurer l'étendue des lacunes au niveau des traitements administrés. Il est à noter que la psychologue de la fondation, khmère, a suivi le cursus universitaire usuel à Phnom Penh. Mais le bouddhisme y tient une place importante, même dans ce domaine. Imaginez-vous donc les dégâts que cela peut provoquer dans le traitement de tels cas... Exemple: "Si tu es prostituée dans cette vie, c'est que tu as forcement péché dans une vie antérieure", dixit la psychologue...

En ce qui me concerne, j'ai commencé à mettre sur pied une méthodologie d'enseignement "utilisable" par les formateurs khmers qui n'ont jamais appris à structurer ce qu'ils dispensent comme matière. La suite de mon travail aurait d'ailleurs été de collaborer en compagnie d'un interprète pour essayer de faire appliquer cette méthode en l'adaptant sur le terrain en fonction des moyens et possibilités à disposition. Mais nous sommes restés longtemps en attente d'un salaire, car le statut de bénévole a indéniablement ses limites et défaillances; notamment dans la définition des rapports de travail et, avec le temps, des horaires. Nous sommes donc partis, mais reviendrons. Car le travail d'AFESIP est remarquable à beaucoup de points de vue, en particulier dans cette volonté de mettre les Khmers au coeur même de ce combat. C'est un travail à très long terme et de longue haleine, car le niveau d'éducation cambodgien est aujourd'hui un des plus faibles de la planète. Merci Pol Pot! Que cette fondation souhaite donc faire en sorte que les Cambodgiens se battent pour leur Cambodge, avec le temps, est certainement une idée plus que louable.

Parallèlement à cette réintégration de filles et cette lutte contre ce terrible trafic, AFESIP s'est lancé depuis peu dans le démantèlement de certains réseaux pédophiles au Cambodge.

La pédophilie

C'est une véritable plaie dans ce pays. Une passe avec un enfant coûte aux alentours de dix dollars. Cela empoisonne et pourrit l'atmosphère ici. Le Cambodge est en effet, depuis un certain temps, devenu un refuge ou une "oasis" pour tous les salauds amoureux de chair fraîche, étant donné que la Thaïlande voisine a, il y a de cela trois ans, considérablement renforcé sa législation et ses peines à l'égard de ceux commettant des délits sur des mineurs. Concernant le Vietnam et la Laos, le pouvoir communiste maintient encore un certain contrôle sur ces agissements. Loin de moi néanmoins d'exprimer qu'il n'y a pas de réseaux dans ces deux pays. Au contraire... Mais s'il y a réellement un lieu où l'inquiétude et la préoccupation ne risquent pas encore de "ronger" ces furieux malades, c'est Phnom Penh et, à plus large échelle, le Cambodge. Cette ONG à laquelle nous avons prêté nos services pendant trois mois nous l'a constamment démontré. Les exemples ne manquent pas et ce sont le désespoir et une violente rage ressentis qui en sont leurs meilleurs illustrateurs.

Du cas d'un Allemand condamné pour avoir drogué et violente une jeune Vietnamienne vierge de 14 ans, -il ne s'était d'ailleurs pas gêné pour filmer et photographier l'indescriptible (d'ignobles clichés, destinés sans aucun doute à alimenter un site Internet pédophile, car un matériel conséquent a été saisi à la suite de son arrestation-, au cas d'un Italien arrêté et condamné à la prison à perpétuité il y a peu dans son pays pour meurtre d'un mineur par crucifixion (il avait acheté l'enfant 100 dollars), les pires ignominies ont défilé sous nos yeux et nous avons eu l'occasion d'observer pleinement la charogne humaine. A l'heure où j'écris ces lignes, l'Allemand a probablement été libéré, vu qu'ici même la liberté s'achète et que la dignité humaine est balancée aux orties sans aucun scrupule... Aux dernières nouvelles, deux journalistes lui ayant rendu visite dans sa prison de Phnom Penh pour le compte de la télévision allemande (SAT 3) m'ont informé qu'il était dans un état pitoyable, car régulièrement battu par les détenus cambodgiens qui partagent sa cellule (où ils sont vingt...) et ce sinistre individu y est allé sans remords de son couplet de victimisation face aux caméras... De plus, l'ambassade d'Allemagne, qui ne souhaite pas qu'un de ses ressortissants donne une image salie du pays au Cambodge, commençait déjà au moment de notre départ à le couvrir pour tenter finalement sans doute de le libérer à coups de dollars acceptés sans broncher par les policiers et dirigeants payés au lance-pierres sur cette terre. A pleurer.

Le neveu de l'ex-ambassadeur de France, pédophile notoire et avéré, avait déjà il y a quelques années disparu dans la nature. Atroce; tout à coup cette soi-disant immunité diplomatique a comme un goût amer...

Vous dire encore que le chef de la police de Phnom Penh, un Français, étrangement payé par l'UNICEF (...), a eu tendance à jouer un drôle de triple rôle entre AFESIP, ces criminels et les ambassades... Bref,... Selon les chiffres officiels d'AFESIP (unique ONG luttant délibérément contre le trafic des femmes à Phnom Penh(*)), le 80% des cas pédophiles est chinois (une pseudo-tradition culturelle porte la félicité et la chance à celui qui se "tape" une vierge) et le reste occidental (à ce propos, une petite communauté suisse de "pédos" fait des ravages à Phnom Penh - hommes d'affaires respectables et forcément dignes une fois rentres chez eux-). Il est bien clair que ce sont ces derniers qui nous "ont sauté à la gueule" au quotidien...

(*) Pour la petite histoire, une de plus, une autre ONG avait relevé le défi et s'était lancée dans la lutte contre ce sinistre trafic d'êtres humains. Elle a vite fermé ses portes... L'erreur commise fut la suivante: son dirigeant avait décidé de libérer les filles des "bordels" en les achetant. Les proxénètes ne se sont dès lors pas gênés pour lui amener des quantités invraisemblables de filles jusque devant la porte de son ONG en dictant forcément la somme qu'ils désiraient obtenir pour chacune d'entre elles! Comme des animaux de foire... Inimaginable, vous en conviendrez, et une drôle de méthode d'aide surtout, qui n'a,dans un tel contexte, évidemment pas fait long feu...

Une après-midi au "Kilomètre 11"

De tous les bordels de Phnom Penh (et ils sont nombreux...), c'est probablement l'endroit le plus démesurément ignoble qu'il m'a été donné de voir ici...


Pour quelle somme s'apprête-t-elle à se vendre?
Photo d'Alix Trauffler

Au "Kilomètre 11", (comme son nom l'indique à 11 kilomètres du centre-ville), je m'y suis rendu en compagnie d'un médecin français ayant travaillé trois semaines à AFESIP dans le cadre du programme "Kouchner" mis sur pied par l'ancien ministre. Chaque médecin français a en effet droit durant sa carrière à trois semaines dans l'ONG et le pays de son choix pour y prêter ses services.

A l'entrée de ce "Kilomètre 11", on aperçoit un grand panneau qui nous incite à l'utilisation du préservatif (le sida n'en finit pas d'assassiner au Cambodge), puis on entre "enfin" dans ce grand "bordel" à ciel ouvert s'étalant sur un long kilomètre, et rempli de tout ce que l'humanité peut montrer de plus hideux. Des femmes, beaucoup de Vietnamiennes, on les appelle aussi "taxi girls", des enfants (qui se monnaient ici cinq dollars), et cet après-midi-là une quantité non-négligeable d'Occidentaux attablés autour de bières et tenant parfois trois à quatre filles sur leurs genoux. Certains de ces hommes sont très jeunes (entre 25 et 30 ans). J'ai un sale goût dans la bouche... Nous nous installons à une table et commandons deux bières. Nous observons... Beaucoup de jeunes gens nous interpellent alors et nous proposent des passes.

Je demande à mon compagnon que nous nous en allions très vite... Lui, incontestablement animé par des envies très voyeuristes, me somme de rester et demande des enfants au premier venu... On nous entraîne dans un coin "dégueulasse", car très sale et délabré, un peu à l'écart et là, dans une pièce d'une minuscule maison prête à s'écrouler, une dizaine d'enfants (la plus jeune a 4 ans et le plus âgé 10 ans) surgissent de je ne sais où et viennent se poser sur nos genoux. "10 dollars for one!" nous signifie une grosse femme apparemment tenancière de ce recoin du "Kilomètre 11".

J'ai très peur et ne peux plus réfléchir... Mon coeur bat à exploser ma poitrine! Je demande encore au médecin de façon plus insistante de partir avec moi. Cette fois, il écoute et me suit... Nous montons sur nos motos et partons enfin, non sans avoir dit à ceux qui nous ont mené aux enfants que nous reviendrions le soir, ceci afin d'éviter toute suspicion... Sur la route nous emmenant à nouveau à AFESIP, le médecin me lance: "Très instructif, non?" Je n'ai décidément pas cette approche et préfère saigner en silence.

Précision: Aux dernières nouvelles, le "Kilomètre 11" avait fermé ses portes grâce, entre autres, à la collaboration d'AFESIP. Ce n'est pas la première fois... Souvent, il a fermé et rouvert très vite. Pour combien de temps cette fois-ci? Le tourisme sexuel amène tant d'adeptes au Cambodge et Hun Sen ne semble pas forcement insensible à leurs deniers...

Elle

Petite Vietnamienne de 14 ans... A été victime de cet Allemand que j'évoquais précédemment. Vendue par ses parents il y a six mois à un proxénète quelconque, elle se trouve aujourd'hui en relative sécurité au sein de la fondation où elle va tenter de se reconstruire. Mais quel avenir? Lorsqu'elle quittera AFESIP pour affronter cette société cambodgienne qui n'offre de véritables débouchés qu'à de très rares exceptions, que fera-t-elle? Recommencera-t-elle à se prostituer, car c'est le cas de beaucoup de filles recueillies? Cette situation n'est pas sans me rappeler l'Angola, la Colombie et ses enfants des rues qui retournent à leurs premières amours, la colle à sniffer, à peine sortis des fondations censées leur rendre et leur offrir un peu d'enfance.

En fait, je n'en sais rien et ai conscience des rares victoires humaines... Même si certaines s'en sortent et ce sont aussi à ces filles que je pense. En tout cas, j'espère fort la victoire pour cette ravissante fillette vietnamienne.

Donc, vous exprimer finalement que son sourire m'a très souvent réchauffé et que je l'aime, tout en l'admirant sincèrement.

Les temples d'Angkor

Démesurément beaux, magiques et troublants, incroyables et épatants; c'est la grandeur khmère qui s'oppose à la folie meurtrière d'il y a à peine trente ans... C'est affolant et insolent de grandeur! Allez-y tout de suite; le regard ne cesse jamais de s'émerveiller allègrement... De "Angkor Wat", le symbole et la puissance, au "Bayon" aux milles visages en passant par "La Terrasse des Eléphants" et le "Banteay Srey", on peut sans lassitude aucune, une bonne semaine durant, se promener sur ce site qui est sûrement une des plus grandes merveilles architecturales de ce vaste monde. Plus de 600 temples... Et cette folle impression d'assister au plus beau spectacle possible! Je suis sans mesure et en suis heureux... L'architecture et les bas-reliefs d'Angkor scintillent sous le soleil de ce pays extraordinaire... Si attachant...


Les touristes peuvent aussi faire leurs offrandes à Angkor en s'acquittant
de quelques riels qui serviront probablement à nourrir une famille.
Le bâtonnet d'encens revient à 2000 riels (70 centimes suisses).
Photo d'Alix Trauffler

Nous sommes tombés amoureux du Cambodge, de sa population, et comme dans toutes les vraies passions, la colère et l'incompréhension se sont mariées à cet amour controversé.


Les splendides bas-reliefs du Bayon vous racontent l'histoire du peuple Khmer à son apogée.


Ta Prohm... Un des rares temples d'Angkor toujours recouvert de jungle.
La simple présence des racines semble faire tenir celui-ci debout.


Animal fabuleux... Mi-femme, mi-oiseau protégeant l'entrée
du Palais Royal de Bangkok en faisant fuir les mauvais esprits.


Angkor et ses cicatrices... Les voleurs n'avaient aucun scrupule
et pouvaient agir sans être inquiétés. Malraux fut d'ailleurs l'un des leurs...
(lire "La forêt de pierres", de Bruno Dagens)


Vieille femme en train de faire ses offrandes aux ancêtres d'Angkor.

Photos d'Alix Trauffler

Le Cambodge, les Cambodgiens sont debout et ce pays est en voie pour le renouveau. Tout cela a pris place en nos coeurs sur ce chemin initiatique. Nous reviendrons sûrement... Le travail de Phnom Penh ne nous a par exemple pas permis de découvrir l'est du pays aux paysages montagneux, paraît-il, époustouflants et à la population très douce.

Mais nous n'oublierons rien, des gens surtout et de leurs sourires, qui de Phnom Penh à Siem Reap (Angkor), des villages traversés ici et là sur la route du sud vers Sihanoukville (anciennement Kompong Som) nous ont toujours donné avec allégresse, sans jamais rien nous demander en retour. Comme un reflet de véritable bonheur...


Scène de vie au coeur d'un village flottant vietnamien, près de Siem Reap, au Cambodge.
Photo d'Alix Trauffler

Deux lectures essentielles pour approcher Angkor: "La foret de pierres" de Bruno Dagens, Découvertes Gallimard, et "Angkor" de Maurice Glaize, chez Maisonneuve.

"Rien n'est à toi. C'est juste l'histoire du monde. Chacun sa p'tite seconde"
Mano Solo

En bohémiens incertains

La Route a donc repris ses droits, heureux et parfois cruels. Ceci, en attendant et en souhaitant un lieu qui voudra bien à nouveau nous prêter son âme pour un temps, plus longuement probablement cette fois-ci que le séjour cambodgien. Qui sait? Peut-être sur un autre continent, derrière d'autres regards et au-devant d'un chemin culturellement différent.

Il m'a un jour murmuré: "Ah, la, la, que d'Amours splendides j'ai rêvées." et aussi, comme un désir fervent de renouvellement permanent: "Assez eu. Assez vu. Assez connu. Départ dans l'affection et les bruits neufs." Ce dérèglement des sens, cette ivresse à chercher et à nourrir. Je sais toujours l'écouter avec attention, entre ces fièvres folles et leurs joyeuses conquêtes.


Un des airs de Bangkok ou quand le gris règne en maître.
Photo d'Alix Trauffler

Pour nous reposer de Phnom Penh et ses duretés, nous sommes revenus en Thaïlande pour nous rendre à Hua Hin, petite station balnéaire qui a régulièrement comme hôtes d'honneur le roi et la reine, tant vénérés et adulés dans ce pays, qui en ont fait leur endroit de vacances préféré. Hua Hin en tire d'ailleurs incontestablement un certain prestige. Hélas, je déconseille plutôt, à la base, de se rendre dans cette petite ville, surtout à celui qui cherche et désire l'Asie profonde; même si au rythme où va cette triste uniformisation du monde, le souhait de l'authenticité peut aujourd'hui revêtir à certains égards l'habit de la candeur (vive cependant la naïveté, qui est souvent le vrai moteur des idéaux). Egarements, quand vous me tenez.

Pour revenir à Hua Hin, nous avons néanmoins agréablement, parfois, apprécié ce lieu, notamment au vu des bienfaits de la mer qui correspond presque à celle des "golfes clairs." Sauf, et je conviens déjà de la facilité du jeu de mots, qu'il s'agit plus, dans ce cas précis, des cannes de golf. C'est effectivement un paradis pour les golfeurs et Tiger Woods en personne est même venu faire quelques démonstrations ici. Sa photo orne d'ailleurs plusieurs livres dans les librairies de la ville. Pour encore mieux justifier et expliquer mon propos indécis et peu convaincu de l'endroit, il est à noter avant tout, qu'Hua Hin accueille tout au long de l'année un nombre invraisemblable de personnes venues du monde entier, même si les Scandinaves et les Allemands prédominent. Beaucoup de gens qui viennent d'Europe surtout se reposer de leur vie quotidienne forcément harassante à l'ombre de splendides palmiers. Jusque-là, rien de gênant et encore moins de choquant.

Mais malheureusement, de par cette présence, on lit à l'entrée de certaines pharmacies: "Apotheke" ou encore "Schöne Hemden und billige Preise" au moment de pénétrer dans les innombrables magasins de prêt-à-porter, présents également à Bangkok, et défiant toute concurrence pour les Occidentaux. Là, on se dit vraiment: "Bof." J'ai même un jour lu sur un panneau: "We speak English, hablamos espanol, parliamo italiano (beaucoup d'Italiens aussi.), nous parlons français, wir sprechen Deutsch und SCHWITZERDUTSCH"!

L'argument du business et des avantages amenés à la Thaïlande par ce tourisme ne sont à mon avis plus valables lorsqu'on dénature ainsi un endroit. Ici l'argent coule à flot, les hôtels de luxe aseptisés sont omniprésents, mais nous ne nous sommes nullement gênés de profiter puissamment d'un de ceux-ci au cours de quelques soirées, et ce à travers un parent proche que je remercie encore au passage.

Malgré tout cela, l'union "occidento-thaïe" semble se dérouler à merveille et chacun y trouve apparemment son compte. C'est très mignon et pourquoi pas. De très belles femmes se prêtent et se donnent ici toujours gracieusement à des hommes seuls, parfois bien laids mais comme métamorphoses en princes charmants par leur argent, ceci le temps de leurs vacances définies comme exotiques (je continue, et c'est lié au Cambodge, à ressentir un malaise, même si je sais pertinemment que de vraies histoires d'Amour peuvent parfois naître de ces unions).

Il y a cette étrangeté souvent; à Hua Hin, on se sent en Thaïlande, certes, mais parfois bien forcée; le personnel des hôtels semble en effet si bien formé à l'accueil d'hôtes venant ici généralement peu de temps (environ deux semaines) qu'on a constamment droit à toute la panoplie de salutations très distinguées (les mains jointes et avec quelle ravissante élégance), de remerciements et d'amabilités à la thaï. Comme si les supérieurs expliquaient à leurs employés: "Bon, vous accueillez le "Phalang" (mot très utilisé et désignant l'Etranger en thaï); sachez qu'il vient ici pour se reposer, cherche du soleil et a quand même besoin et envie de se sentir en Thaïlande, donc il est très important que vous lui sortiez tous les rituels du pays."

C'est plutôt sympa, vraiment, mais cela sent parfois le préfabriqué. Mais finalement, et sans réflexion aucune, il n'est pas toujours indispensable d'en avoir une, nous nous sommes donc laissés bercer par ce qui a constitué une belle tranquillité, en particulier après le Cambodge. Avons même au détour de ballades et d'errances découvert une région avec, entre autres, de superbes forêts. Quelques lieux nous ont même tout a coup rappelé l'Indochine de Marguerite Duras. Une vieille maison surtout, toute en bois, abandonnée et qui semblait hantée de fantômes bien mystérieux. En errant à l'intérieur de celle-ci et en parcourant chacune de ses pièces, nous étions comme possédés par un parfum d'angoisse mêlé de désir. Et pourtant; impossible, bien dommage, de savoir à qui appartenait cette vieille demeure et comment il était possible qu'elle soit éventuellement accessible d'une manière ou d'une autre. Et ce n'est pas faute d'avoir essayé de nous renseigner. Maison magique, en bord de mer, très belle, vaste et certes complètement délabrée, mais possédant indéniablement une vraie âme. Ceci toujours à Hua Hin et subitement à nouveau en Asie.

En arrêt là-bas. Nous sentant comme à un carrefour, nous avons pu parfois "décortiquer" ces sept premiers mois dans le rire (Alix au milieu d'un village karen en Thaïlande en train de se faire filmer par un groupe organisé croyant qu'elle faisait partie de la tribu) et l'effroi (dix touristes occidentaux ont été tués il y a un mois sur la route entre Luang Prabang et Vang Vienh au Laos, route que nous avions empruntée en octobre de l'année dernière. La raison de ce massacre est liée à la vengeance d'une tribu Hmong envers le gouvernement, qui avait ordonné sans raison le destruction d'un de leurs villages au nord du pays.)

Bref, beaucoup de souvenirs ont défilé, teintés de couleurs variées. Du gris au bleu et du noir à l'azur...

Sommes aujourd'hui une fois de plus, sûrement une des dernières, à Bangkok, comme un deuxième chez nous en quelque sorte. Au milieu du merveilleux Chinatown, nous regardons comme un tableau changeant cette ville effervescente s'agitant sous nos yeux. C'est resplendissant, beau, chaotique et toujours terriblement humain. Une ville dans Bangkok. Un air attirant de la Chine et ses saveurs. Marchés avec tout, tout, et plus que cela. Vie de rue où les yeux ne se fatiguent pourtant jamais à regarder et à s'émerveiller encore et encore. Imaginez et allez.

 

Et nos questions tourbillonnent et nous mettent toujours dignement en face de nous ("On croit qu'on va faire un voyage, mais bientôt c'est le voyage qui vous fait ou vous défait." Bouvier)

Ces lieux, ces atmosphères et ces rencontres qui font toujours plus partie de notre construction personnelle. Ce puzzle se défait parfois, mais nous n'oublions jamais qu'il bâtira avec le temps une cohérence et la vraie volonté ascendante.

L'ex-Birmanie nous appelle maintenant et nous sommes rassurés d'aller à sa rencontre.

C'est souvent la rencontre chez moi qui déclenche l'envie de partager en écrivant. Et ce soir, ce fut un camarade thaï qui m'a parlé pour me détailler les conditions de son existence, et plus particulièrement celles de son quotidien; il bosse 12 heures par jour dans son bar et dispose du mardi de libre dans la semaine. Salaire mensuel: 4000 Baths, un peu moins de 130 francs suisses, dont une bonne partie va aux siens, vivant dans le nord-est du pays. S'installe entre nous un long dialogue, toujours dans un anglais hésitant, mais valsant de curiosités réciproques. C'est doux, chaleureux et agréablement gentil. Je lui expose ma façade de nanti et il s'exclame d'admiration, ce qui me gêne beaucoup. Peut-être ne devrais-je pas. Mais quand une certaine réalité sociale, ainsi qu'une difficulté humaine, surgissent là devant vous, on a toujours cette tendance au retrait et à une humilité, ressentie sincèrement, même si elle peut apparaître de forme. On relègue alors soudainement cette Asie enchanteresse qui nourrit nos soleils propres au second plan. Mais attention, je ne m'excuse pas pour autant de voyager et de chercher à ouvrir mes sens. Néanmoins.

De retour du Laos, du Vietnam et du Cambodge, je prétendais encore que la Thaïlande était un pays économiquement à l'aise. C'est vrai et justifié face aux trois premiers cités, mais toujours violemment faux face à nous, et ce sans aucune raison. J'ai été triste et me suis à nouveau écrasé comme un gamin contre le mur de cette si belle réalité.

A l'heure où la Thaïlande fait parler d'elle dans le monde entier pour cause de lutte antidrogue particulièrement violente, ordonnée, selon les dires, par le roi, car beaucoup de dealers sont abattus de sang-froid et très arbitrairement, je me suis rendu compte à quel point le peuple, à travers ses difficultés, pouvait être une fois de plus très éloigné des pourparlers gouvernementaux et même internationaux, semble-t-il.

Voyage magique, voyage troublant et se souhaitant toujours obstinément humain.

J'ai rêvé de Palestine

A l'heure où, et je regrette déjà mon absence, se préparent de belles agitations et de dignes protestations (des manifestations qui ne nécessitent d'ailleurs plus aucune justification) en vue de la tenue du G8 à Evian, j'ai rêvé, dans un accès de justice, d'un état palestinien à Bangkok. Mais pourquoi me direz-vous? Sans antisémitisme aucun, au contraire très sincèrement -je sais la souffrance et la peur actuelles du peuple juif-, il m'est quand même arrivé de m'énerver fortement contre une attitude détestable de suprématie.

A Bangkok, nous avons souvent logé à Th Khao San, quartier des routards, comme Hua Hin hors d'Asie, et je n'ai jamais compris pourquoi, en ce lieu, l'étoile de David trônait de façon unilatérale, acceptée des autorités, et, sincèrement, sans raison apparente. Cette rue regorge d'Israéliens, jusque-là, à nouveau, pas de problème, mais malheureusement, ces gens-là n'hésitent pas quand bon leur semble à organiser des manifestations prônant la survie et l'existence d'un Etat qu'ils ont acquis depuis fort longtemps. Je les respecte et ce droit d'expression se doit d'exister universellement.

Il faut cependant que je confesse que "le bât semble blesser". En effet, depuis sept mois que nous sillonnons cette partie de l'Asie et tentons d'y entrer, nous avons sur notre chemin rencontré un nombre non négligeable d'Israéliens occupant cet espace du monde étrangement et surtout sans gêne aucune. Cela se traduit par des attitudes souvent bien arrogantes vis-à-vis des gens du pays qu'ils traversent. Généralités allez-vous me dire, mais hélas non; messieurs et mesdames les Israéliens sont en territoire conquis et oublient où ils sont. On est souvent venu, au détour d'un problème ou d'une préoccupation, me parler en hébreu. "?????", ai-je toujours répondu, en insistant sur le fait que la terre entière ne parlait pas l'hébreu; et je l'exprimais avec le temps et la répétition de ces interpellations à ma façon,parfois peu diplomatique, cela dit.

Gêne donc, emprunté, mais sans désir de jugement définitif, je le répète,

Si j'étais reste à Bangkok et y avais travaillé (on ne sait toujours jamais), je me serais organisé, aurais sincèrement tenté de réunir des "réseaux" pour que des "manifs" palestiniennes aient lieu à l'endroit où Israël souhaite revendiquer son existence déjà bien légitimée. Car la démocratie, me semble-t-il, ne peut jamais exister sans équilibre des forces.

 

Nicolas Forzinetti

(à suivre)